Cependant, on ne peut oublier que nous sommes avant tout, nous humains, des êtres sociaux.
Un être social signifie que selon la « casquette » que nous endossons, nous jouons un rôle d’acteur que la société a décidé de nous confier : cela s’appelle un statut juridique.
Or, contrairement à une idée répandue, la liberté d’expression n’est pas identique pour tout citoyen en fonction du statut juridique qu’il endosse. Bien évidemment, il est une première limitation qui s’applique à tous : on ne peut s’exprimer que dans la limite de l’ordre public (racisme, antisémitisme, xénophobie, homophobie etc. …) et du droit des tiers (diffamation, injure etc. …). Cependant, à l’intérieur de la sphère de la liberté d’expression protégée par la Loi, on peut même affirmer que cette liberté d’expression est à géométrie variable selon le statut juridique dans lequel on se trouve. Telle est, aussi surprenante que soit cette affirmation, la réalité juridique.
Ainsi, un salarié, tout citoyen qu’il est, dispose de limitations à sa liberté d’expression de par la Loi.
Nous proposons ici de rappeler ces limites en tenant de les sérier.
Tout d’abord, le « citoyen salarié » est lié par un contrat à son employeur. Ce contrat, qui est la « Loi » des deux parties qui le signent, est bien connu de tous. Il a pour nom, contrat de travail.
Il prévoit des clauses tenant à la description des fonctions de l’employé, à son statut juridique, à sa rémunération.
Dans les entreprises évoluant dans la sphère des technologies de l’information, ce contrat prévoira aussi très souvent des dispositions serrées et très favorables à l’employeur dans le domaine de la propriété intellectuelle. Cette disposition interdira à l’employé de reproduire l’invention de l’employeur que l’entreprise aura pris le soin de faire breveter, le contenu littéraire, artistique ou musical protégé par le droit d’auteur, la marque c’est-à-dire le nom et/ou la figure généralement déposé auprès d’un organisme public. Dans un jugement célèbre du 20 Mars 2000, le Tribunal de Grande instance de Paris avait condamné sévèrement l’hébergeur gratuit Altern , soit près de 10.000 euros de dommages et intérêts, pour avoir hébergé un site Internet qui reproduisait la célèbre phrase « c’est trop injuste » du petit poussin à coquille tant aimé de nos jeunes chérubins. Comble de la situation ; le Tribunal (la justice) avait interdit à l’hébergeur sous astreinte la reproduction de la phrase « c’est trop injuste ». Mais cette limitation liée à la propriété intellectuelle n’est pas propre au salarié, elle touche tout le monde.
Plus spécifique au salarié, les clauses de confidentialité stipulées de manière quasi systématique aux contrats de travail. Ces clauses sont d’autant plus larges que le salarié occupe de hautes fonctions dans l’entreprise. Aux termes, de ces clauses, il est demandé au salarié de conserver confidentielles toutes informations … confidentielles. Le plus souvent, ce type de clauses ne définit pas ce qui est confidentiel, ce qui rend l’interdiction très large. En pratique, le salarié se trouve donc dans la situation de considérer comme confidentielles toutes informations rencontrées dans l’entreprise dans son travail. A défaut, il court le risque de la sanction, soit, durant son temps de présence dans l’entreprise, le licenciement, éventuellement la condamnation à des dommages et intérêts si l’entreprise a subi un préjudice. Bien évidemment, il aura toujours la possibilité de recourir aux Tribunaux, en l’occurrence un Conseil des Prud’hommes, afin que ceux-ci disent si cette violation de la clause confidentielle n’est pas imaginaire (réelle) et suffisamment sérieuse pour justifier la mesure prise par l’employeur.
Mais ça n’est pas tout, en dehors de tout contrat, la jurisprudence reconnaît à la charge du salarié, durant le temps de son contrat de travail, une obligation de loyauté vis-à-vis de son employeur. En pratique, cette obligation de loyauté lui interdit par exemple de critiquer (dénigrer) son entreprise.
Par exemple, la Cour de Cassation – Chambre Sociale – a jugé que l’employé pouvait être licencié pour faute grave dans un cas d’espèce où «à l’occasion d’un conflit entre le président du conseil d’administration et un administrateur, un salarié avait soutenu activement l’action (de l’administrateur dans l’opposition) en manifestant son opposition au Président et en critiquant publiquement les dirigeants » . En conséquence de ce qui précède, la clef de la tranquillité pour un salarié semble donc double : d’une part, éviter tout propos en relation avec son entreprise, d’autre part, éviter toute communication qui laisse à penser qu’il s’exprime comme salarié : cela va de l’utilisation d’identifiants (email notamment) personnels, comme de l’utilisation d’ordinateurs connectés au réseau (adresse IP) qui sont là encore personnels.
Ainsi donc, le Web 2.0 est certes une occasion nouvelle de s’exprimer, d’échanger, de polémiquer mais peut être pas pour tous dans n’importe quelle situation juridique : mieux vaut le savoir avant qu’il ne soit trop tard.