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Patrimonialisation des données, que faut-il en penser ?

Depuis quelques semaines, se répand un débat sur la patrimonialisation des données personnelles.

A l’origine de ce buzz, le philosophe Gaspard Koenig, fondateur d’un think tank qui a publié un rapport intitulé « mes data et moi« .

Pour Gaspard Koenig, « le droit à la propriété a été conçu comme une conquête pour redonner du pouvoir aux individus » Gaspard Koenig « Le Grand Témoin », interview donnée au supplément entreprises du Figaro le 24 Février 2018, p.24.

Or, précise le philosophe, depuis 15 ans les droits des individus et leurs données personnelles, sont piétinés par les grandes entreprises du numérique.

La solution selon lui ?

Simple, il faudrait que la Loi autorise les individus à vendre leurs données personnelles, c’est-à-dire faire de la vente de données « un marché » et « réintégrer l’individu dans la chaine de valeur numérique », là où à ce jour, seuls les Facebook et Google en profitent.

C’est la patrimonialisation des données.

La thèse est séduisante.

Que faut-il en penser ?

Un constat exact

Tout part d’un constat.

Depuis 15 ans nous dit Gaspard Koenig, « les données numériques sont une zone de non droit. Les grandes entreprises numériques en ont largement profité car il y avait une manne à prendre. »

Ce constat est partiellement exact.

Les grandes entreprises digital se sont développées grandement dans l’Union Européenne au début des années 2000 pour Google, au milieu de cette décennie pour Facebook, LinkedIn (désormais Microsoft), Twitter et bien d’autres.

Or, il est vrai que bon nombre de ces grandes entreprises du numérique se sont totalement affranchies des règles de Loi posées en Europe en matière de protection des données personnelles et de respect de la vie privée.

Cette situation peut s’expliquer de trois façons.

  • En premier lieu, le pouvoir politique, de qui vient le droit car c’est lui qui le décide, a limité le montant des sanctions que peuvent prononcer les autorités de contrôle européennes, c’est-à-dire les CNIL européennes qui sont des gendarmes des données personnelles.

Ainsi, la CNIL française s’est vue limitée dans ses condamnations à un plafond de 150.000 euros de sanctions pécuniaires jusqu’à récemment.

Une paille pour des entreprises qui brassent des milliards de dollars au moyen de ces actes parfois illégaux.

L’effet dissuasif se trouvait dès lors neutralisé.

A l’été 2017, les sociétés Facebook Inc. et Facebook Ireland ont été condamnées au maximum de la sanction, soit 150.000 euros, pour les combinaisons de données qu’elles ont effectuées à des fins de ciblage publicitaire après le rachat de la messagerie instantanée WhatsApp, sans le consentement des abonnés de la messagerie.

De nombreux commentateurs sur les réseaux sociaux se sont amusés du montant de la condamnation, qui était pourtant au maximum possible, et ont prétendu que les frais et honoraires des Avocats de la Société de Marc Zuckerberg étaient probablement supérieurs, tournant ainsi la décision en dérision.

  • La seconde explication réside dans l’inaction des pouvoirs publics européens qui ont failli dans leur rôle de protection de leurs citoyens.

Ainsi et par exemple, la réglementation en matière de données personnelles connaît depuis 40 ans une sorte de double peine.

D’un côté, il y a les sanctions administratives de la CNIL que nous venons d’évoquer. De l’autre, des sanctions pénales, avec de lourdes peines, en moyenne des peines maximales de 5 ans d’emprisonnement et de 300.000 euros d’amende.

Le problème : ces sanctions ne sont jamais appliquées.

Pire encore, l’action publique n’est jamais mise en mouvement.

Cela tient au fait que les Parquets sont sans doute plus occupés à lutter contre le terrorisme, la fraude financière ou le harcèlement sexuel et qu’ils considèrent que les manquements aux données personnelles ne sont pas des troubles à l’ordre public suffisamment importants, pour mobiliser la machine policière et judiciaire.

A cela s’ajoute, un problème plus général de moyens de la justice et une formation insuffisante des magistrats dans ces matières spécialisées.

On peut aussi compter le nombre de déclarations de personnalités politiques de premiers plans sur ces sujets.

Le Président Macron, dans ses premières déclarations après son élection, a été le premier à pointer le pouvoir exagéré des GAFAM, quand son prédécesseur a surtout brillé par son absence sur le sujet.

  • Enfin, et c’est la troisième explication, les GAFAM ont tissé un « système » qui paralyse notre Etat de droit.

Nous avons dénoncé ce « système » dans un ouvrage publié fin 2016 – début 2017.

Quand un consommateur européen se voit contraint de conclure un contrat avec la société mère californienne de son prestataire de service, qu’on lui impose l’acceptation de Conditions Générales d’Utilisation (CGU) totalement illisibles, que ces CGU déclarent soumettre la relation nouée par contrat à un droit et un juge extra européen, que tout est fait pour ne jamais mettre en contact le consommateur avec l’entreprise autrement que par un formulaire froid adressé à des robots, que systématiquement devant les tribunaux européens, on dénie au juge européen sa compétence et son droit à trancher le litige etc. … et que ces pratiques qui ont pour objet ou pour effet de priver le citoyen européen d’un accès à son Etat de droit, se retrouvent dans de très nombreuses entreprises digitales, on peut parler de « système ».

Un « système » qui a paralysé la riposte juridique.

Le constat fait par Gaspard Koenig d’un défaut d’application de la Loi aux données personnelles depuis 15 ans est donc exact, mais pas au motif qu’il s’agirait d’une zone de non droit.

C’est au contraire la law enforcement, c’est-à-dire le défaut d’application de la Loi qui fait à défaut, soit parce qu’on a bridé le régulateur des données personnelles, soit par défaut de volonté et parce que les grandes entreprises du digital ont su en profiter.

Le paradoxe de la proposition de patrimonialisation des données, est qu’elle intervient à un moment où les choses sont en passe de changer.

Le 25 mai 2018 entre en application un Règlement Européen dans les 28 Etats de l’Union , qui donne aux CNIL Européennes un pouvoir de sanction enfin à la hauteur des enjeux, la sanction pouvant aller jusqu’à 4% du chiffre d’affaires mondial total du contrevenant.

Le Règlement prévoit aussi la possibilité pour les Etats de mettre en place une action de groupe en matière de données personnelles (Article 80 du RGPD), et des initiatives citoyennes telles que e-bastille, ont déjà annoncé qu’elles étaient prêtes à agir.

 

Mais une solution qui mène à l’impasse

Il y a dans la langue française, de très belles expressions idiomatiques autour de la main : prendre la main, garder la main, ne pas perdre la main.

Car le problème du régime des données personnelles dans une société toute entière organisée autour et sur les réseaux numériques, est là.

Nous perdons la main sur nos données, et, d’une certaine manière, sur nos vies.

Avec nos données, les algorithmes, la quasi impossibilité d’agir en dehors des réseaux numériques, ce que l‘on a nommé la fracture numérique, que devient le libre arbitre de l’individu ? Voilà l’enjeu de nos discussions.

Or, le régime actuel des données personnelles, héritier de la Loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés de 1978 qui a institué la CNIL, répond à ce défi.

La réglementation fait de la donnée personnelle un droit personnel de l’individu.

Cela signifie schématiquement que l’exploitation de la donnée exige le consentement de la personne.

L’exercice des droits de la personne est même réservé à la personne concernée (Article 15 à 22 du RGPD).

Ainsi, si celle-ci entend accéder à une base de données pour savoir si elle y figure, corriger ses données, voire s’opposer à figurer dans cette base, elle seule peut faire jouer ce droit.
Un Avocat par exemple, même muni d’un mandat exprès, ne peut intervenir auprès du propriétaire de la base pour faire jouer les droits d’accès, de rectification et d’opposition de son client.

Ce droit est attaché à sa seule personne.

Plus encore, et c’est là la règle principale, même si la personne a donné son consentement sans conditions, sans délais, elle peut à tout moment le retirer.

C’est son droit absolu, un droit reconnu fondamental.

Un point explicitement rappelé dans le Règlement communautaire devant entrer en application prochainement : « la personne concernée a le droit de retirer son consentement à tout moment (…) Il est aussi simple de retirer que de donner son consentement» (Article 7 point 3 du RGPD).

Or, si on retient la patrimonialisation de la donnée, si on soumet la donnée à un droit de propriété, la situation serait alors toute différente.

La personne qui, pour quelques euros, a cédé sa donnée en perd ainsi totalement le contrôle.

Une fois la cession réalisée, le nouveau « propriétaire » en fait ce qu’il veut.

Plus question non plus de revenir sur le consentement donné.

Quelles seront les pratiques des grandes entreprises du digital pour obtenir de l’individu la donnée convoitée ?

Par quels contrats ? Car en effet, s’il y a propriété, donc appropriation possible, et qu’il y a cession, cela donne forcément lieu à un contrat.

Ce contrat sera-t-il celui bien connu que nous rencontrons quasi quotidiennement, les CGU que personne ne lit ?

Chacun sait que ce sont des documents, on a peine à dire des contrats, qui sont surtout faits pour ne pas être lus ? Où les droits du plus fort, c’est-à-dire du rédacteur du document, sont respectés et c’est tout ?

Et la personne qui a donné son consentement à la cession, a-t-elle bien compris le sens et la portée de son accord, notamment compte tenu du fait que ses données sont susceptibles d’être combinées entre elles, ou encore d’être complétées, validées, voire prédites, par le biais d’algorithmes ?

Qui va interpréter le contrat s’il y a désaccord entre le cédant et le cessionnaire ? Quels Tribunaux, à Paris, en Californie, selon quelle Loi ?

On le voit bien, la patrimonialisation des droits apporte bien plus de questions que de réponses. Surtout, elle va apporter la base légale qui manque aujourd’hui à nos grandes entreprises du digital, pour continuer à agir comme elles le font depuis 15 ans.

Plus encore, elle va leur apporter une légitimité, et c’est peut-être là le plus grave, qui leur manque aujourd’hui et les contraint tout de même, en Europe, à des contorsions, à des effets d’annonce, à de la communication, pour mener à bien leur business sans être trop inquiétées.

Publié par le 03/03/2018 dans Blog

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